Serge Gainsbourg – Aux Armes Et caetera

Porté par son tube éponyme qui fit scandale (attention euphémisme) à sa sortie en 1979, « Armes et cætera », du plus iconoclaste des chanteurs français, est le seul album de reggae – aux côtés d’un ou deux classiques de Bob Marley, faut pas déconner – dont ma platine ne se lasse jamais.

C’est en effet une bien riche idée du Vinyle Club que de livrer en plein mois d’août la bande-son estivale parfaite, aux effluves de sable chaud, de rhum et de skank (je parle donc bien du contretemps propre au style musical susmentionné, né en Jamaïque au moment où s’affrontaient sur les trottoirs parisiens les étudiants et la maréchaussée).

Gainsbourg donc. Plus clivant tu meurs. Le mec qui a inventé le concept de « hater » bien avant la popularisation des clashs 2.0 entre twittos en mal de reconnaissance. Tout le monde a et aura toujours un avis, en général bien tranché, sur le personnage aussi bien que sur son œuvre. Et ce disque ne déroge évidemment pas à la règle.

Enregistré en 4 jours à Kingston avec le haut du panier des musiciens du cru (dont les choristes du fameux Marley), l’album naît de la frustration causée à la fois par le bide commercial de ses albums-concepts, dont les aujourd’hui classiques « Histoire de Melody Neslon » et « L’Homme à tête de chou » et par l’immense succès populaire de son navrant tube disco « Sea, Sex and Sun » qui atterrira sur la BO des « Bronzés » devant le non moins affligeant « Darla dirladada » –

c’est dire le niveau.

Dès la sortie de l’album, on assiste à un concours de punchlines plus consternantes les unes que les autres entre « journalistes » jouant à fond la partition de la vierge effarouchée, et dont certaines portent même d’écœurants relents antisémites. Les attaques se concentrent en particulier sur le titre-phare « Aux Armes et cætera », relecture à la sauce « One Love » de l’une des chansons les plus belliqueuses – magnifique paradoxe – du patrimoine musical français, notre fameux hymne national.

Le paroxysme de la polémique sera atteint en janvier 1980 lors d’un concert que Gainsbourg doit annuler suite à une alerte à la bombe visant l’hôtel où logeaient ses musiciens. Montant seul sur scène face à des paras certes ramollis du bulbe mais éructant leur haine, il entame a cappella le titre original devant les militaires en colère, mais qui dans un réflexe pavlovien généralisé se mettent au garde-à-vous pour l’accompagner, avant de se voir gratifier par l’intéressé d’un bras d’honneur.

« J’ai mis les paras au pas ! ».

Mais cet album cul(te) ne se résume pas à la fameuse « Marseillaise reggae ». Les reprises (« La Javanaise » et « Marilou Reggae ») témoignent de l’incroyable potentiel de l’artiste à se renouveler. Et la cynique « Vieille Canaille » constitue l’une des meilleures covers du standard jazz « You Rascal You » (dont le titre original est « I’ll Be Glad When You’re Dead », tout un programme) écrit en 1931 par Sam Theard et interprété à l’époque par Louis Armstrong, placée sur mon petit podium personnel juste avant celle du merveilleux rockeur californien Hanni El Khatib. En résumé un album drôle, sensuel et provocateur, dernier vestige du génie gainsbourien avant que celui-ci ne vire définitivement Gainsbarre au mitan des années 80.

Maud Gaëlle Bourgoin