Description
Fela Ransome Kuti est sans aucun doute une des personnalités africaines les plus marquantes du XXe siècle. Figure à la fois culturelle et politique, il a placé le Nigéria au centre de la sono mondiale en donnant naissance à l’afrobeat, un subtil mélange de musiques traditionnelles apala et yoruba, de highlife de funk, de jazz… Reconnu dans le monde entier, il a laissé après sa mort en 1997 un héritage vivace, qui continue à prendre vie à travers sa famille (une dynastie à la Marley !), notamment Femi et Seun mais aussi bon nombre de formations qui tentent de reproduire la transe originelle du maître Kuti.
Parmi toute la discographie de Fela, Afrodisiac fait contient une grande partie des titres essentiels de sa carrière. Il faut dire qu’il est sorti au moment le plus prolifique de sa créativité artistique alors qu’il avait déjà derrière lui plus de dix ans d’expérience (d’abord au sein des groupes Highlife Takers et Koola Lobitos). A partir de 1970 lors de son retour des USA, il créé le Nigeria 70, qui deviendra vite Africa 70 avec l’arrivée du batteur Tony Allen dont les rythmes syncopés aiguisés au couteau, (Fela disait que Tony Allen sonnait comme quatre batteurs) ont donné naissance à l’afrobeat ! Ce n’est pas pour rien que Kuti en fera le directeur artistique de son groupe !
L’expérience américaine de Fela Kuti va aussi faire évoluer son implication politique. Influencé par le black power via la philosophie des Black Panthers en premier lieu, il va développer un discours de libération des peuples face aux élites. Il cherchera par tous les moyens à affirmer son autonomie, notamment par l’acquisition d’une propriété constituée d’une maison dans laquelle il accueille sa famille, ses musiciens mais également quelques marginaux de Lagos, un studio d’enregistrement et un club (l’Afro-Spot, qui deviendra l’Afrika Shrine). Enfin, c’est également la période où il affirme sa spiritualité en officiant lors de cérémonies traditionnelles yorubas.
Alors qu’il enchaîne les albums avec frénésie, 1973 est une année record avec pas moins de quatre albums qui sortent dans les bacs, dont Afrodisiac . Plus tôt dans l’année, c’est Shakara – qui avait connu un succès au-delà du pays natal du musicien – qui lui avait donné des ailes !
Pourtant, une partie des titres extraits d’Afrodisiac avaient déjà été enregistrés et publiés en 45t au Nigéria quelques années auparavant et avaient constitué les premiers succès de Fela dans son pays. Ils sont réenregistrés en 1971 dans les mythiques studios Abbey Road de Londres, avant de sortir donc sur un album deux ans plus tard.
En quatre titres toute la puissance du son Fela est résumé ou presque.
On commence les hostilités avec l’endiablé « Alu Jon Jonki Jon », tous cuivres dehors, qui résume en douze minutes toute la puissance de l’afrobeat. Le morceau fait référence à un conte traditionnel yoruba évoquant la cohabitation entre le monde des humains et celui des animaux.
On enchaîne avec le très funky mais plus mid-tempo « Jeun Ko Ku », premier succès musical de Fela au Nigeria et plus généralement en Afrique, vendu à deux cent mille exemplaires. Le morceau parle d’un glouton qui se nourrit jusqu’à la mort, métaphore des nantis qui se goinfrent face au peuple.
Le tonitruant « Eko Ile » parle de la capitale avant que les Portugais ne la rebaptisent Lagos. Mettant en avant ses racines et l’attachement que l’on peut y porter, il rappelle qu’on peut voyager partout mais qu’on n’est jamais aussi bien que chez soi.
Enfin, l’album se termine par un morceau déterminant « Je’nwi Temi », première des attaques de Fela contre le pouvoir en place au Nigeria. Il y parle de liberté d’expression, et de volonté de dire la vérité, quel qu’en soit le prix à payer !
Son adage « Music is the weapon of the future », est plus que jamais d’actualité dans cet album qui traduit sa vision de la musique et du monde, évoluant entre tradition et modernité, spiritualité et regard social.
A l’occasion du 50e anniversaire de l’album, c’est une très belle version double LP marbré rouge ou vert, qui vous est proposée ici. Un bien bel objet, indispensable à posséder tant dans le fond que dans la forme !
Arnaud Brailly
L’ANECDOTE
Les albums successifs de cette année 1973, aux relents de rébellion assumés, rendent nerveux le pouvoir militaire alors en place au Nigéria. La réponse gouvernementale ne se fera pas longtemps attendre et le 30 avril 1974, les forces de l’ordre envahissent sa maison et embarquent ses soixante occupants. Fela est emprisonné pour plusieurs mois, mais ne perd rien de sa verve et de son inspiration. En réaction, à sa sortie, il édite l’album Alagbon Close et décide de créer sur sa propriété la République autonome de Kalakuta. Le début de nouvelles (més)aventures !
