Description
Il y’a presque trois ans Le Vinyle Club vous proposait la réédition de l’album d’Al Green “I’m still in love with you” sorti à l’origine en 1972 chez Hi Records. Ce grand classique était en quelque sorte la suite de l’album précédent “Let’s stay together” sorti la même année, le chef d’œuvre qui a révélé Mr Green auprès du grand public et l’a consacré comme une des nouvelles stars de la Soul music !
En effet pour certains Al Green est considéré comme le dernier des Mohicans, le dernier chanteur Soul de l’âge d’or. Il faut dire que bien qu’arrivé tardivement sur la scène musicale, mieux que quiconque il représente la quintessence et le paradoxe que la communauté afro-américaine vivait depuis les années 50’s : chanter pour l’amour de Dieu ou pour l’amour des femmes, honorer le sacré ou le profane ?
Comme la grande majorité de ses contemporains, le jeune Albert Greene, a fait ses premières armes à l’Eglise, où ses qualités vocales étaient déjà largement repérées par sa communauté dans son Arkansas natal, ce qui lui donna l’idée avec trois de ses frères de créer les Greene Brothers, un quartet de gospel. Avec un père rigoriste, où la religion n’était pas prise à la légère, il n’était pas question de chanter ou d’écouter autre chose que des chansons faisant l’éloge de Dieu. Sa colère est grande quand il le surprend en train d’écouter Jackie Wilson et l’exclut directement du groupe.
Cela ne l’empêche pas alors qu’il est au lycée de former Al Greene & The Soul Mates et de sortir en 1967 un premier single “Back up train” sur Hot Line Music Journal, un jeune label créé par deux de ses amis. Le titre aura un petit succès d’estime dans les charts R&B et permettra au combo de sortir un premier album du même nom. Alors que le projet des Soul Mates s’essouffle et n’arrive pas vraiment à percer, Al a la chance de faire la rencontre de Willie Mitchell l’année suivante lors d’une tournée au Texas. Ce dernier, musicien, producteur et directeur artistique est installé à Memphis dans le Studio Royal et travaille pour le label Hi Records. Ayant l’oreille particulièrement bien aiguisée, il voit alors en Al Green une future star de la Soul. Il le fait signer sur le label (il en prendra les rênes d’ailleurs en 1970) et dans la foulée lui fait sortir “Green is blue” le premier opus sous le nom Al Green (Le “e” de son nom d’origine est supprimé). Bien que celui-ci soit de bonne facture (avec beaucoup de reprises), il faut attendre l’album suivant “Get’s next to you” de 1971 pour révéler tout son talent et le voir côtoyer de prêt le sommet des charts R&B.
Popa Willie (le surnom de Willie Mitchell) sent alors tout le potentiel que peut avoir son poulain pour préparer la relève, et le fait entrer au Royal Studio avec le groupe maison : le Hi Rhythm Section. Si le succès des albums d’Al Green est le fait de son charisme particulier et de sa voix en or, il l’est aussi par le talent des musiciens qui l’accompagnent. A commencer par le légendaire Al Jackson Jr, le batteur de Booker T & The MG’S et de nombreuses sessions de chez Stax Records, l’autre label mythique de Memphis. (Mais aussi plus tard session man pour Elvis, Tina Turner, Eric Clapton…). Il alterne d’ailleurs la batterie avec son autre collègue de chez Stax : Howard Grimes. Le groupe a également en son sein les talentueux frères Hodges : Leroy (à la basse), Charles (à l’orgue) et Teenie (à la guitare) mais surtout les Memphis Horn, section mythique de cuivres, transfuge aussi de Stax, appelée communément la meilleure section de cuivres soul de tous les temps ! (Dirigés par Wayne Jackson et Andrew Love). Enfin s’ajoute à la voix inimitable d’Al, les chœurs des sœurs Rhodes et de Charles Chalmers.
Les sessions d’enregistrements furent particulièrement prolifiques et fin 1971 sort le premier single du LP “Let’s stay together” suivi par l’album du même nom sorti mondialement au début de l’année 1972.
Le titre éponyme porte l’album puisqu’il se classera simultanément n°1 des charts Soul et Pop (top 100 du Bilboard), une première pour Al Green et Hi Records ! Devenu le classique incontournable d’Al Green (de même que “Love & Happiness” présent sur l’album suivant), le titre a depuis régulièrement refait surface par le biais de reprises (Tina Turner, Seal…), de B.O de films (“Pulp Fiction” de Tarantino, “Munich” de Spielberg, “Higher Learning” de John Singleton…) et a même été interprété à sa manière par le président américain Barack Obama au début de l’année 2012 lors d’un discours de levée de fonds de donateurs ! Autant dire que ce titre est devenu une institution.
Mais ce n’est pas le seul atout de l’album loin de là ! Car la force des morceaux d’Al Green se révèle souvent dans cette moiteur mid tempo, cette sensualité torride portée par sa voix au falsetto inimitable et mis en relief par la rythmique de la Hi Rhythm Section. “La-la for you”, “What is this feeling ?” “Judy” ou “It ain’t no fun to me” en sont de bons exemples. Ce dernier titre sera d’ailleurs repris par le Graham Central Station deux ans plus tard dans une version beaucoup plus énervée !
Et si il reprend les chansons d’autres artistes comme le très langoureux “How can you mend a broken heart ?” des Bee-Gees ou “I’ve never found a girl (Who loves me like you do)” de Eddie Floyd, c’est toujours pour les incarner à sa manière, les interpréter en les faisant siennes sans en dénaturer l’esprit originel ! C’est également ce qui fait tout son talent !
Et pour un peu “So you’re leaving” pourrait presque faire office de morceau fait pour les pistes de danse avec un tempo un peu plus enlevé et surtout une section de cuivres des Memphis Horns particulièrement efficace ! Imparable également.
En tous cas le public ne s’y trompera pas et permettra à Al Green d’obtenir son premier n°1 dans les charts albums Soul, où il restera en tête pendant 10 semaines ! (et atteindra la 6ème place des classements pop). Devenant la figure de proue du label de Memphis, le Révérend (comme il se fera appelé par la suite) entamera alors une série d’albums plus incontournables les uns que les autres dans les années 70’s. La légende perdure encore aujourd’hui !
Arnaud Brailly
L’anecdote :
Un moment particulièrement dramatique va se révéler être un tournant dans la vie de Al Green. A la fin de l’année 1974, il se fait agresser par sa petite amie de l’époque Mary Woodson White qui lui déverse du gruau bouillant sur le corps alors qu’il est à moitié nu. Elle se suicide dans la foulée après ce geste désespéré (il avait refusé de l’épouser !). Al Green en sera profondément bouleversé au point de chercher du réconfort dans la religion. Bientôt ordonné pasteur il crée sa propre église au sein de la Full Gospel Tabernacle à Memphis. S’il continue sa carrière musicale, il la dirige exclusivement vers Dieu et le gospel à l’orée des années 80 avant un retour sur un registre plus populaire en parallèle une décennie plus tard.
Discographie sélective :
– 1967 : « Back up train »
– 1969 : « Green is blue »
– 1970 : « Gets next to you »
– 1972 : « Let’s stay together »
– 1972 : « I’m still in love with you »
– 1975 : « Al Green is love »
– 1981 : « Higher Plane »
– 1993 : « Don’t look back »
– 2003 : « I can’t stop »
– 2008 : « Lay it down »
Biographie
13 avril 1946 : naissance d’Albert Greene dans l’Arkansas
1967 : premier album sous le nom de Al Green & The Soul Mates
1968 : rencontre avec Willie Mitchell
1969 : signature chez Hi Records
1974 : il est ébouillanté par sa petite amie de l’époque
1976 : fin de la collaboration avec Willie Mitchell
1978 : il quitte Hi Records
1980 : sortie de son premier album Gospel
1994 : “Pulp Fiction” remet au goût du jour “Let’s stay together”
1995 : il rentre dans le Rock’n Roll Hall of Fame
2000 : sortie de son autobiographie
2003 : retour de Willie Mitchell pour l’album “I can’t stop” chez Blue Note
2008 : dernier album en date “Lay it down”
2014 : Il est décoré des Kennedy Centers Honors en présence de Barack Obama
Arnaud Brailly