Description
Dans son livre Vineland publié en 1990, le romancier Thomas Pynchon dépeint un groupe californien de surf psychédélique (dit “surfadelic“), The Corvairs, dont l’un des membres et un personnages principaux, Zoyd Wheeler, joue en tant qu’organiste. La description de ces musiciens encore boutonneux tout juste sortis du lycée, écumant les clubs miteux et les bals de mariage en attendant nonchalamment, entre deux prises d’acide et une session de surf, une gloire qu’ils n’effleureront jamais du bout des doigts fait lointainement écho à ce jeune groupe de Los Angeles, Allah-Las, surgi en 2008. A ceci près que plus de quarante ans ont coulé sous les ponts et que ce son californien si caractéristique, devenu vintage par définition, est revenu en ce début des années 2010 obéissant à une des lois de la mode musicale, cyclique, telle une vague roulant, s’échouant sur la plage et revenant sans cesse. Contrairement à ces personnages de papier éloignés, le quatuor originaire d’un endroit où l’hiver n’existe pas réussira, en plein cœur des années Obama, à percer rapidement grâce à l’enregistrement de deux double singles produits par Nick Waterhouse. La rencontre entre ce geek du son analogique des années cinquante et soixante et ces quatre “ beautiful losers“ au physique pas désagréable était inévitable et aboutira très vite à un premier album éponyme publié en 2012 sur le label Innovative Leisure.
En matière de culture musicale, les quatre musiciens ont un solide passif. Travailler dans un magasin de disques culte, Amoeba Music à Los Angeles, est pour Matt Correia, Spencer Dunham et Pedrum Siadatian une formidable occasion de disséquer les merveilles sonores qui sommeillent sous le sommet de l’iceberg de l’histoire de la musique. Comme les compilations Nuggets , Love, les Byrds, les Doors ou les Ventures ainsi que d’innombrables groupes de la British Invasion en “The” comme The Kinks, The Troggs, The Animals, ou encore The Rolling Stones qu’ils ont dû écouter jusqu’à l’usure. Désormais rejoints par Miles Michaud au chant, les AllahLas peuvent alors dérouler leur propre vision des années soixante et soixante-dix ainsi que des grands espaces de leur pays natal entre garage romantique, folk rock contemplatif et surf narcotique et cotonneuse, loin des hymnes des Beach Boys des premiers temps et des tubes instrumentaux aux solos de guitares bodybuildés à la Link Wray. « Catamaran », le titre d’ouverture précédemment sorti en 2011 en single, donne le ton de ce que sera tout l’album grâce à la reverb typique des guitares, au chant nonchalant de Miles Michaud, au rythme mid-tempo enjôleur, à la basse hypnotique et aux chœurs harmoniques et lénifiants. Les titres s’enchaînent comme des sessions de surf, entre morceaux chantés et quelques instrumentaux comme « Sacred Sand » et un « Ela Navega » qui rappelle les origines latinoaméricaines de la Californie. Seul « Vis-à-Vis » semble prendre un autre chemin, celui de la pop des années 80, entre Felt et le Velvet Underground.
La formule cartonne et suinte la coolitude à plein nez avec au total douze cartes postales sonores allergiques au temps qui passe et qui rassurent, nous entraînant en toute quiétude dans un voyage à travers le temps et l’espace. Avec désormais quatre albums au compteur, Allah-Las ne squatte plus de nos jours les comptoirs défraîchis d’Amoeba Music. Mais leur passion musicale, elle, est toujours intacte et s’exprime désormais via leur propre émission de radio, « Reverberation ». C’est l’occasion de comprendre que les membres d’Allah-Las sont tout simplement des amoureux de la musique n’hésitant pas à concocter soigneusement des playlists rassemblant une très large palette musicale, de Fela Kuti à Ryuichi Sakamoto en passant par François de Roubaix…
Erwann Pacaud