Description
On a tout écrit sur John Coltrane ou presque ! De sa naissance le 23 septembre 1926 à Hamlet, une petite ville de Caroline du Nord, à son décès le 17 juillet 1967 à Huntington d’un cancer du foie, on a disséqué les 40 années d’une vie consacrée en grande partie et jusqu’à son dernier souffle à la musique ! S’il appartient aux géants du jazz, il est source d’inspiration pour de nombreux artistes qui lui vouent un véritable culte dans bien d’autres styles : rock, musique classique, hip-hop, reggae… Il faut dire que celui qui fut un stakhanoviste acharné, animé tant par le goût du travail et une grande curiosité que par l’envie de dépasser les limites esthétiques établies et de ne jamais se reposer sur ses acquis, a de quoi forcer l’admiration. Au-delà de son implication et de son talent, ce sont également les rencontres artistiques tout au long de sa vie qui ont façonné son empreinte musicale.
Celui qui commence à apprendre le sax alto et la clarinette dès l’âge de 13 ans va décrocher ses premiers cachets sur les scènes de Philadelphie à la fin de son adolescence et accompagner des artistes tel que Joe Webb ou Big Maybelle. Le nom de Coltrane circule rapidement dans le milieu ; il travaille et devient ami avec le saxophoniste Jimmy Health.
En 1948 il décide d’abandonner le sax alto pour le saxophone ténor et multiplie les collaborations déterminantes qui vont installer sa réputation : Dizzy Gillespie avec qui il va découvre le latin jazz ou encore Johnny Hodges et Charlie Parker, deux de ses idoles d’enfance. C’est son engagement auprès de Miles Davis, en remplacement de Sonny Rollins, qui va véritablement forcer son destin. En intégrant le quintet de ce dernier sur scène et sur de nombreux disques (dont le célèbre Round About Midnight) en y prenant une place de plus en plus importante au fil des mois, Coltrane va réussir à se débarrasser d’une certaine tradition jazz pesante. Mais la personnalité tumultueuse de Miles et les graves problèmes de drogue et d’alcool de Trane (un de ses surnoms) auront raison de leur collaboration en 1957. Cette rupture est un électrochoc pour le musicien qui décide de se débarrasser de ses addictions, devient végétarien et adopte une vie plus spirituelle tout en lançant sa carrière solo.
Ses premiers albums en tant que leader sortent la même année : l’éponyme Coltrane chez Prestige mais surtout Blue Train ! Seul album du maître signé sur le mythique label Blue Note, il est enregistré le 15 septembre 1957 avec le célèbre ingénieur du son Rudy Van Gelder et produit par Alfred Lion, patron et co-créateur du label. C’est par ailleurs le premier disque sur lequel Coltrane choisit ses musiciens lui-même et il va s’entourer de quelques pointures expérimentées telles que Kenny Drew au piano et Philly Joe Jones à la batterie, mais également de jeunes pousses en devenir : Lee Morgan à la trompette, Curtis Fuller au trombone et Paul Chambers à la basse. Considéré comme son premier chef d’œuvre, il est composé de quatre titres originaux de Coltrane et d’une reprise de Jerome Kern et Johnny Mercer. Si Blue Train reste indubitablement un album de hard bop, on pressent déjà une richesse des compositions et des sonorités novatrices qui dépassent l’orthodoxie. Il puise dans les influences jazz de ses mentors mais va aussi chercher sa musicalité dans le blues des racines, tout en la projetant dans un swing joyeux et sautillant qui fera plus tard les belles années du mouvement soul-jazz.
Le titre phare de l’album est aujourd’hui un incontournables du jazz, repris maintes et maintes fois depuis. La trompette de Lee Morgan et le saxophone de Coltrane semblent communier dans un dialogue permanent sans oublier la place de chacun des musiciens qui mettent la virtuosité de leur instrument au service de cette œuvre collective. Et c’est également le cas sur « Moment’s Notice », « Locomotion » ou « Lazy bird », chaque thème ayant sa personnalité propre tout en gardant l’unité de jeu de l’ensemble. Seul la reprise « Old Fashioned » marque une pause tout en retenue et en douceur pour mieux mettre en valeur la dextérité des autres morceaux.
Blue Train connaît un succès public et permet à l’artiste d’élargir de façon conséquente son auditorat avec une mixité raciale qui en dit long sur l’œcuménisme de sa musique. Il ne faudra pas attendre plus de deux ans pour qu’il sorte un nouveau chef d’œuvre avec Giant Steps, et ce n’était à l’époque que le début… !
Arnaud Brailly