Description
Random Access Memories Random Access Memories est-il le meilleur album qu’on adore détester ? Nan mais parce qu’il a tellement tout ravagé sur son passage façon rouleau compresseur en 2013, qu’à un moment ça a pu atteindre l’overdose. C’est le paradoxe du premier de la classe : c’est parfait, donc c’est super, mais en même temps ça énerve. On reste français hein, on aura toujours un problème avec le succès…
C’est comme ça qu’on entretient notre marque de fabrique de pretentious frenchies.
RAM décolle dans un patchwork bien chargé en sucre et en gluten qui mélange riffs de guitare FM, synthés épiques et filtres ascensionnels, histoire de bien poser les bases en 16secondes : ici c’est Daft Punk, c’est notre 4ème album studio et rappelez-vous bien tout ce qu’on a fait avant, parce que là on retourne aux sources ! Car passée cette intro, on cruise direct au volant d’un coupé XL le long des côtes californiennes, bande son quasi AOR (pour Album Oriented Rock, l’AOC du rock guimauve US), entre Steely Dan et Supertramp. Sauf qu’à la gratte, ça fleure bon le génie funk de Nile Rodgers et qu’au bout de 48 secondes, les deux robots ont déjà donné de la voix, filtrée bien sûr : « Let the music in tonight / Just turn on the music / Let the music of your life / Give life back to music ».
C’est ce qu’on appelle un statement : « OK, notre succès repose notamment sur une masse de samples de musique noire américaine du dernier quart du 20èmesiècle (et faudrait vraiment être rétrograde pour s’en plaindre [note de moi-même]). Et bien maintenant on va se payer le luxe de l’écrire et de la jouer en vrai. » Alors après, les débats qui consistent à savoir si c’est de l’electro ou pas, si Daft Punk s’est renié, a donné dans la facilité vintage à de simples fins commerciales… ben on s’en fout ! Ce disque est une merveille de… pop-funk, allez, s’il faut l’étiqueter. Et il ne se refuse rien, de ses guilty plaisirs presque trop sucrés à l’hommage à Giorgio Moroder, en passant par les guests vocaux ultimes du moment, et de surcroît à l’éclectisme d’un plutôt bon aloi : Pharrell Williams, Julian Casablancas (The Strokes), Todd Edwards (déjà présent sur Discovery), Panda Bear (Animal Collective), et Paul Williams.
Cet album, en plus d’être effectivement un sommet de maestria pop, à savoir qu’il s’écoute comme du petit lait, avec un niveau de composition, d’exécution et de production sans équivalent (et cette perfection peut énerver, cela se conçoit), et bien cet album offre en plus un instantané de ce qu’a été la pop du début du 21ème siècle, en payant son dû aux influences du 20ème qui lui ont permis de se construire.
Exemple le plus flamboyant de ce grand écart réussi entre plaisir immédiat et pédagogie en filigrane : « Giorgio by Moroder (feat. Giorgio Moroder) ». Tout est dans le titre, Giorgio par Giorgio avec Giorgio ! Mais ce sont les Daft qui l’ont fait. Au départ génuflexion devant l’un des producteurs fondateurs du son disco (ne mentionnons que le « I Feel Love » de Donna Summer), qui a débuté en simple interview, c’est finalement devenu un morceau, qui a participé à la réhabilitation actuelle de la disco et de ses icônes, pas toujours vénérées par le passé c’est le moins qu’on puisse dire, de Moroder à Cerrone. Le titre est introduit façon cheesy funk par la voix du maestro lui-même, touchant : « My name is Giovanni Giorgio, but everybody calls me Giorgio », avant que les synthés ne lui déclarent leur amour !
Et parlons de « Touch » feat. Paul Williams ! L’acteur héros de Phantom of the Paradise(1974), film phare des tourments cornéliens et des compromissions du compositeur pop rock, génial parangon du genre, à voir absolument. Sa présence, au-delà de la beauté de l’interprétation, est une telle mise en abîme (dans le film il finit masqué) et en dit tellement sur l’endroit de la pop d’où s’expriment les Daft sur cet album, pourtant sans didactisme… « Where do I belong / Tell me what you see / I need something more ». Alors au point où on en est, et après « Lose Yourself to Dance » (feat. Pharell Williams and Nile Rodgers) et sa jubilation funky over cool, quand « Get Lucky » (feat. les mêmes) déboule, on ne peut que rendre les armes ! Ce titre est un fucking hit ! Même rincé jusqu’à la corde, quand dans 20 ans vous essaierez d’en expliquer la magie à vos petits enfants qui auront l’impression que vous les pluggez sur Radio Nostalgie, il vous rappellera tellement de souvenirs et vous l’aimerez pourtant encore tellement pour ce qu’il est, que ça apparaîtra indubitable aux derniers récalcitrants : c’est un chef d’œuvre pop. Et puis Nile Rodgers, de Chic, dont le « Good Times » a presque inventé le hip hop, samplé par Sugar Hill Gang dans « Rapper’s Delight », qui a travaillé avec tant de stars, de Diana Ross à Madonna en passant par Roxy Music…
Bref, il y a tant de musique contenue dans Random Access Memories. Ne suis-je pas en train de faire le ravi de la crèche qui tresse ses louanges dans le sens du vent ? Disons que je n’ai jamais été fan des Daft. Quand ils sont arrivés dans les 90s, j’étais dans autre chose, le hip hop et la funk essentiellement, notamment tous les trucs que Daft Punk samplait. J’avais la morgue supérieure de celui qui prétend préférer les originaux aux copies. Et puis côté electro, j’ai plus plongé dans la techno et la house underground. Bref,quand les projecteurs ont illuminé les Daft à la cérémonie des Grammy Awards, qui les a consacrés empereurs de la pop (ils en ont glané 5 cette année-là), j’ai ravalé ma fierté et accepté leur proposition. Mettre sur scène dans une scénographie parfaite Nile Rodgers et Pharrell Williams, mais aussi, et surtout, associer Stevie Wonder à ça dans un mash-up de génie entre « Get Lucky », « Freak Out » et « Another Star », ils ne pouvaient définitivement mieux parfaire leur hommage à la musique. A voir Paul McCartney, Ringo Starr ou Jay-Z et tout un parterre hallucinant de stars de la pop en profiter comme des gosses comme j’étais en train de le faire, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder la vidéo en boucle ce jour là.
Le dernier aspect de ce blockbuster, c’est sa frenchitude en question. La France a essayé de se le réapproprier en un cocorico maladroit de fierté différée : c’est le sommet de la pop et ils sont français. Oui mais ils ont fait un gros doigt à la France il y a bien longtemps et soyons honnêtes, la France n’a pas toujours apprécié. Elle aurait préféré les voir aux Victoires de la musique. [LOL]. Comme ça s’est beaucoup dit sur les réseaux sociaux les jours des Grammys, là-bas ils ont Pharrell, Nile Rodgers et Stevie Wonder, en France on aurait eu Gilbert Montagné, Sinclair et Bertignac (ou qui vous voulez hein) ! Le triomphe de Daft Punk aux Grammys les a placés au-delà des querelles de clochers : ils ont atteint le sommet de la pop mondiale et au lieu d’y planter un drapeau tricolore, ils y ont planté le leur. D’où l’analogie avec le versant économique aliénant de la mondialisation, qu’on a pu inconsciemment reprocher au raz-de-marée RAM. Mais avouons-le, il est quand même difficile de bouder son plaisir à l’écoute de cet album. Alors pourquoi se forcer à tirer la tronche alors qu’on peut juste se poser, appuyer sur play et profiter de la musique sans forcément se demander si on a perdu son pacte faustien avec l’ultra-libéralisme. Finalement, la pop, c’est fait pour ça !
Plus qu’une anecdote, il s’agît carrément d’une légende urbaine ! Les deux robots, puisqu’on connait plus leurs casques que leurs visages, auraient subi quelques désagréments, en contrepartie de l’anonymat de génie que leur offre leur dégaine. Ainsi court la rumeur que désirant entrer dans un club espagnol (à Ibiza ?), l’un des deux larrons se présente à la porte et décline son identité, à peu près sûr de passer le cerbère. Et là, que dalle ! On le remercie de ne plus jamais mettre les pieds ici, ou de bien vouloir régler l’ardoise qu’il a alimentée pendant plusieurs années. Voilà l’inconvénient d’avancer masqué : rien n’empêche un petit malin de se faire passer pour vous et de profiter de votre notoriété à peu de frais. Si ça se trouve, c’était Rocancourt !