Description
Depuis plus de deux décennies, on a vu proliférer nombres de compilations rendant hommage aux musiques du monde, influencées par la musique occidentale en l’adaptant aux particularités locales. Nombre de diggers et de labels ont emprunté cette voie, souvent avec passion, sérieux et probité. C’est le cas du label de Berlin, Habibi Funk, créé en 2015 par Jannis Stürtz et Malte Krauz qui a décidé de se spécialiser dans la musique d’Afrique du Nord et du Nord Est.
En effet, si l’aventure est musicale et culturelle, elle est également humaine pour nos deux protagonistes qui mettent un point d’honneur à partager de façon équitable les bénéfices des ventes de leur label avec les ayant-droits.
Cette fois-ci, l’équipe d’Habibi Funk, s’est penché sur un groupe lybien, The Free Music, groupe de l’auteur compositeur et producteur Nahib Alhoush, déjà compilé précédemment sur le label, avec notamment sa reprise du « Staying Alive » des Bee Gees sous le nom de “Ya Aen Daly”. C’est en tombant par hasard sur une cassette du groupe dans un local désaffecté d’un duplicateur tunisien que le duo est tombé amoureux de la musique de The Free Music. Il fallait encore pour envisager une réédition retrouver les musiciens ou leurs descendants dans un pays meurtri, à la situation géopolitique incertaine. Une fois l’affaire résolue, il était nécessaire de se pencher sur leur discographie pour faire une sélection.
Le groupe créé en 1972, a sorti 10 albums autoproduits (jusqu’à sa séparation en 1989) à la production assez soignée vu les moyens de l’époque, et en opposition aux valeurs esthétiques d’alors. Dans un pays aux libertés individuelles très limitées, mené d’une main de fer par Mouammar Khadafi (à la tête du pays rappelons-le de 1969 à 2011 !), enregistrer des morceaux dont les références musicales venaient directement du pays de l’oncle Sam était un véritable geste politique. The Free Music a en effet composé des morceaux mêlant soul, funk, disco voire même reggae, tout en chantant en langue arabe, fusion unique à l’époque.
Avec une matière première particulièrement dense donc le label a décidé de se concentrer sur leurs troisième et quatrième albums, sortis en 1976.
Sur cette sélection sortie chez Habibi Funk en 2023 sous le nom Free Music (Part 1) , le sens du groove du quintet est particulièrement enivrant ! Il faut dire que Nahib a dans son équipe quelques francs-tireurs dont le saxophoniste Salem Gebril et le guitariste Mohammed el Seyd. Dès le morceau d’ouverture « Mathasebnish », le feu d’artifice est lancé : guitare funk saccadée, cuivres flamboyants, basse ronronnante et flûte sautillante mènent la danse. Le rythme implacable se poursuit avec « Hawelt Nensa Ghalaak » qui commence par un clin d’œil à la guitare wah wah rappellant étrangement le « Long Train Running » des Doobie Brothers. Les instrumentaux « Free Music » 1 et 2 sont construits comme des thèmes symboles du groupe que l’on imagine facilement en ouverture de leurs concerts de l’époque. Et l’ensemble s’enchaîne à 100 à l’heure dans un disco-funk oriental particulièrement hypnotique ! « Al Qalb Mrayef », titre groovy mais bien plus folk que les autres, clôture cette compilation et en avant la voix envoûtante de Alhoush accompagnée par une flûte virevoltante.
Quand on écoute la qualité des compositions, on se dit que le travail effectué par Habibi Funk est d’utilité publique ! Et cela tombe bien car la rumeur voudrait qu’une partie 2 de Free Music voie le jour dans les mois qui viennent, étant donné les enregistrements du groupe encore disponibles… !
On a hâte !
Marie-Laure Sitbon
L’ANECDOTE
La carrière de Nahib Alhoush ne fut pas de tout repos. Après avoir rencontré des difficultés financières pour financer l’enregistrement de ses albums, il fut emprisonné pendant deux ans par le régime lybien pour ne pas avoir chanté les louanges de Khadafi et s’être frotté d’un peu trop près à la musique occidentale. Il négociera une sortie de prison en échange de l’enregistrement d’un album hommage au dictateur. Par la suite forcé au quasi silence artistique dans son propre pays, il sera obligé de s’expatrier en Égypte pour entamer alors une carrière solo. L’histoire aussi d’une résilience, pour mener à bien quoi qu’il en coûte sa passion pour la musique. Une belle leçon de vie!