Description
Alors que j’écoutais dans mon bureau en arrière fond, Good Kid, M.A.A.D City pour préparer cette chronique, un jeune collègue m’interpelle et me dit : “C’est Kendrick Lamar que tu écoutes là ? Il est mortel cet album !”. S’en suivit une petite discussion sur l’artiste, sa discographie, l’entourage qui le produit… Il venait d’exprimer le temps d’un instant fugace exactement ce que je ressentais depuis longtemps à propos de cet artiste et notamment cet album : il a la capacité de créer des passerelles sonores et de transcender les générations pour les amateurs de hip-hop. Ce n’est pas pour rien qu’il est l’un des rappeurs les plus talentueux et attendus de ces dix dernières années.
Il faut dire que lorsque l’on est né à Compton en 1987, la même année que la sortie du premier EP du groupe ultime du gangsta rap west coast N.W.A, cela ne peut pas être un hasard ! Le destin vous montre un signe que vous devez suivre corps et âme. Ce quartier de Los Angeles est la quintessence même du hip-hop de l’Ouest américain et porte le sceau de son plus digne représentant, celui qui transforme en or tout ce qu’il produit : Dr. Dre. En signant Kendrick Lamar en tant que producteur exécutif sur son label “Aftermath Entertainment” (distribué par Interscope), Dre va lui permettre d’accéder à une notoriété méritée démontrant une fois de plus que, presque 30 ans après ses débuts dans l’industrie musicale, ce dernier n’a rien perdu de son flair légendaire. Cela-dit, avouons une chose : Kendrick Lamar était déjà bien installé dans l’univers du hip-hop indépendant suite à ses deux premiers essais : la mixtape Overly Dedicated et l’album Section 80 , sortis successivement en 2010 et 2011. A son arrivée dans l’écurie Aftermath il apporte d’ailleurs dans ses bagages le collectif de producteurs Digi+Phonics, présent avec lui chez Top Dawg Entertainment. Son équipe sera complétée par une jeune garde déjà confirmée : Scoop Deville (fils du légendaire Kid Frost), Hit Boy ou T-Minus pour ne citer que les plus connus. Mais ce n’est pas tout puisque des poids lourds du milieu viennent compléter le casting avec Jack Splash (Plant Life), Just Blaze (producteur maison de Roc-A-Fella Records et donc de Jay Z notamment), ainsi que Pharrell Williams que l’on ne présente plus ! Cette diversité est sans aucun doute l’ingrédient magique de la recette qui a fait le succès de cet album.
Good Kid, M.A.A.D City est en partie autobiographique. “Ce bon gamin dans une ville folle”, (l’acronyme de M.A.A.D City ayant été sujet à diverses interprétations…), raconte l’histoire de son adolescence dans ce quartier où pauvreté et banditisme côtoient la créativité et l’espérance. En se faisant l’écho de ces histoires de drogue, d’argent facile, de religion ou des relations hommes-femmes souvent contrariées, il met en lumière le fait que l’environnement détermine souvent l’avenir d’un individu. Cette porte ouverte sur son espace intime est amplifiée par la présence de photos de son enfance et de sa vie de jeune adulte à l’intérieur de l’album.
Musicalement, les ambiances sont souvent mid-tempo, totalement dans l’esprit de ce que la Californie sait produire, “laid-back” comme on dit là-bas, avec des mélodies et des refrains particulièrement accrocheurs qui deviennent vite entêtants. « Bitch don’t kill my vibe », un des singles de l’album, en est un bon exemple. L’utilisation de samples ajoute à la production un sentiment de filiation dans la pure tradition du hip-hop : « Money Trees » sample « Silver Soul » de Beach House et invite au passage Jay Rock en featuring, « Poetic Justice » en compagnie de Drake, extrait la voix douce de Janet Jackson d’un de ses classiques « Any Time, any place », ou encore « Think about me, i’m dying of thirst » qui quant à lui exploite le jeu de guitare de « Maybe tomorrow » du jazzman Grant Green. La référence à sa ville natale et à la scène west coast qui a constitué l’épine dorsale de sa culture musicale sont encore plus évidentes lorsqu’il invite MC Eiht, un des rappeurs légendaires de la scène locale, en samplant à la fois le groupe de ce dernier Compton’s Most Wanted mais également le fameux « Funky Worm » des Ohio Players dont les sonorités acides de synthétiseurs ont été maintes et maintes fois utilisées dans le G-funk. Le titre « Compton » avec le grandmaster Dr. Dre en featuring parle de lui-même et constitue en quelque sorte une sorte de double hommage.
Parfois les atmosphères se font plus sombres et plus contemporaines, comme sur « Sherane », « Backseat Freestyle » ou « M.A.A.D City » bien ancrés dans leur époque, mais sans dénaturer la tonalité générale de cet opus, bien au contraire.
Salué autant par la critique que le public, l’album sera nominé quatre fois aux Grammy Awards, se classera en 1ère position des charts hip-hop/R&B, et 2ème du Billboard 200. A ce jour l’album s’est vendu à plus de 3 millions d’exemplaires rien qu’aux USA.
Au printemps 2013, Kendrick Lamar part en tournée mondiale en compagnie de son collectif The Black Hippy (Ab-Soul, Jay Rock, et Schoolboy Q) asseoir un peu plus sa notoriété au niveau international, toujours d’actualité aujourd’hui alors que son nouvel album est attendu avec une impatience non dissimulée à travers le monde ! Le jeune garçon est devenu grand !
Arnaud Brailly