Description
Quand on parle des grandes icônes du jazz, on a tendance à penser à des pianistes, des trompettistes voire des saxophonistes, mais rarement à des guitaristes ! C’est pourtant oublier que ce mouvement musical, d’une richesse infinie, a enfanté quelques virtuoses des six cordes qui ont influencé nombres de leurs contemporains du rock au funk, en passant par la musique africaine.
Grant Green est un de leurs, sans aucun doute ! Artiste essentiel de la période post-bop et soul-jazz de chez Blue Note reconnu par ses pairs, il a également été redécouvert par toute une génération au tournant des années 90. Cette dernière n’a pas hésité à lui donner le titre de “père de l’acid jazz” et à le sampler allégrement (A Tribe Called Quest, Dr Dre, US3, Public Enemy…).
Né en 1935 à Saint-Louis, le jeune Grant va s’initier très tôt à la guitare, au point de devenir musicien professionnel dès l’âge de 13 ans ! Fortement influencé par Charlie Christian, Charlie Parker et Lester Young, son jeu de guitare va susciter la curiosité de nombreux de ses collègues. C’est le saxophoniste Lou Donaldson qui va l’emmener à New York en 1960 et lui présenter Alfred Lion, le cofondateur du label Blue Note. Lion est tellement impressionné par sa virtuosité qu’il lui propose dès sa signature d’enregistrer un album à son nom. Si celui-ci ne sortira finalement qu’à titre posthume, Grant sort malgré tout son premier simple Green Street en 1961. Devenant le musicien du label présent sur le plus grand nombre d’enregistrements durant cette première moitié des 60’s, que ce soit en tant que leader ou en sideman, il multiplie les projets sans s’enfermer dans un seul style : du latin-jazz au be-bop, des spirituals au soul-jazz !
C’est pendant cette période prolifique, en novembre 1963, en seulement deux jours de studio, qu’ il va mettre en boîte la première pierre angulaire de sa carrière : Idle Moments. Il s’entoure de musiciens jeunes déjà expérimentés et talentueux : le pianiste Duke Pearson, qui compose deux titres sur cet album, le saxophoniste Joe Henderson, Bob Cranshaw à la contrebasse, Al Harewood à la batterie et Bobby Hutcherson au vibraphone.
Dès le premier titre fleuve, « Idle Moments » le jeu de piano de Pearson (qui a composé le morceau) avec la guitare de Green dans une douce mélodie où chaque musicien prend sa place au fur et à mesure. Long de près de 15 minutes, il ne devait au départ en faire que la moitié mais Alfred Lion, trouvant l’alchimie entre eux tellement évidente tout au long de la balade, décida de le laisser dans son intégralité.
A contrario, « Jean de Fleur », composé par Green, démarre de façon tonitruante dans une leçon de bop dont il avait le secret. Ça swingue, ça tourbillonne, ça bastonne même, et on en redemande avec « Nomad », le track qui clôt le LP avec une énergie folle où le saxophone ténor de Joe Henderson virevolte entre la contrebasse de Cranshaw et la batterie de Harrewood. En douze minutes de groove, on devine déjà ce que sera la puissance de l’esprit soul-jazz de la deuxième partie de la décénie. Enfin, Grant Green s’autorise une reprise « Django », un hommage à Rheinardt écrit par John Lewis en 1954 et interprété par son Modern Jazz Quartet. Coupée pour en proposer une version plus courte sur le disque, la version longue originelle de plus de 13 minutes a vu à nouveau le jour en 1988 lors de la première réédition CD de cet album. L’introduction au vibraphone de Bobby Hutcherson a également été samplée en 1997 par l’artiste néo-soul de Détroit, Davina sur son titre « So Good ».
Si Idle Moments ne sortira qu’en 1965, un an et demi après son enregistrement (une éternité à l’époque !), il en gardera toute sa fraîcheur et sera unanimement accueilli.
Jouant de sa guitare avec un feeling inné et une inspiration sans faiblesse, Grant Green confirmera la place centrale qu’il aura parmi les musiciens incontournables de Blue Note et ce jusqu’au milieu des années 70.
Arnaud Brailly
