Description
Un titre énigmatique, pour un album qui transporte tout droit dans les forêts du grand nord-américain. i,i est le 4ème et dernier album à ce jour de Bon Iver, ce groupe qu’on a trop souvent étiqueté comme folk alors qu’il est bien plus complexe et avant-gardiste qu’il en a l’air.
Ce n’est pas tout à fait un hasard si Kanye West ou James Blake ont régulièrement collaboré avec ce groupe multiforme et le citent bien souvent comme source d’inspiration.
Bon Iver est fortement incarné par son charismatique leader Justin Vernon, génie un brin torturé et magicien des arrangements, mais il n’en reste pas moins un groupe qui illumine sur scène par son unité. A l’origine, en 2007, il s’agissait pourtant d’un projet musical solo de Justin qui, suite à une rupture amoureuse, s’était réfugié pendant trois mois dans une cabane au fin fond de la forêt pour composer les premiers morceaux de For Emma , premier album du groupe.
Pour ce qui est du nom, Bon Iver — dont quasi tous les membres sont originaire d’Eau Claire dans le Wisconsin — s’est inspiré d’une expression française “Bon Hiver”, tirée d’une salutation entendue dans une série TV, Nothern Exposure .
Voilà pour la légende “folko-champêtre” du groupe, mais il faut toujours se méfier de “l’eau claire” justement…
Bon Iver est un groupe majeur de la scène indé américaine et ce n’est pas un hasard. Les process créatifs de Justin Vernon, très naturalistes, sont toujours alimentés par une production et des arrangements sophistiqués. Les 4 albums de Bon Iver représentent chacun une saison. D’abord l’hiver avec For Emma , il s’était ensuite imposé avec son deuxième album printanier, Bon Iver (considéré comme le chef d’œuvre du groupe) et incarne l’automne avec I,i. sorti justement une fin d’été 2019.
Une signification saisonnale apportée par Justin lui-même et qui donne effectivement une couleur aux 13 morceaux qui constituent cet album. La fin d’un cycle très probablement, qui laisse toujours de l’espace au renouveau, à chaque instant de ces titres aux noms souvent mystérieux : l’ouverture floue avec « Yi » ,introduction sonore plus qu’un morceau nous embarque dans l’inconnu. Arrive alors « iMi » où l’on perçoit la voix vocodée de James Blake, qui donne la couleur, chaudement accompagnée de cuivres.
On relève d’ailleurs beaucoup d’invités sur ce quatrième opus comme Moses Sumney, Bryce Dessner, Phil Cook et le Brooklyn Youth Chorus sur le contemplatif « U (Man Like) » en imaginant un monde où les mauvaises actions nous rattrapent. D’autres collaborateurs égale- ment, comme un des beatmaker de Young Thug, Wheezy. L’album est un magnifique voyage dans une Amérique puissante, dont on retrouve toute la force sur « Naeem » ou « Faith », mais également torturée et en proie à sa culpabilité dévorante dans « Sh’Diah » qui signifie littéralement “Shittiest Day In American History” en référence à l’élection de Donald Trump en 2016. On a l’impression d’y entendre l’incompréhension dans la voie éplorée de Justin, et les cuivres lancinants au chevet d’une démocratie malade de ses démons. Le dernier morceau « RABi » ouvre vers l’espoir et guide vers l’optimisme : “Don’t have to have a leaving plan / Nothing’s gonna ease your mind / Well, it’s all fine and we’re all fine anyway”.
Vous l’aurez compris, après juste une écoute, résumer Bon Iver à un groupe folk « naturaliste » est un tantinet réducteur, tant sa recherche sonore, et ses influences pop ont marqué la scène américaine de ces deux dernières décennies (le magistral « Lost In A World » sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West, c’est lui).
Depuis 4 ans et la sortie de cet opus comme une fin de cycle, il y a eu beaucoup de collaborations pour Justin Vernon
Peut-être une transformation vers une pop étudiée saura ravir nos platines ? Nous on en a la certitude…
Marie-Laure Sitbon