Description
Les destins contrariés peuvent parfois enfanter des artistes de génie !
Et s’il y’a une musicienne qui en est un exemple flagrant, c’est bien Nina Simone ! On a tout dit sur cette artiste, son engagement virulent pour la communauté afro-américaine et les droits civiques dans les 60’s, sa vie personnelle tumultueuse en tant que femme et mère, sa bipolarité reconnue tardivement et son souhait depuis son plus jeune âge de devenir la première concertiste noire de musique classique en Amérique !
Il faut dire que la jeune Eunice Kathleen Waymon (son nom d’état civil), née dans une famille peu fortunée mais très religieuse (sa mère est prédicatrice méthodiste) démarre le piano à l’âge de 4 ans et montre rapidement une certaine virtuosité pour cet instrument, d’autant qu’enfant très solitaire il est souvent pour elle un refuge. Mais c’est la musique classique qui l’envoute particulièrement, à tel point qu’à l’âge de 12 ans elle donne son premier récital à l’église de sa paroisse. Déterminée, elle améliore sa technique avec des professeurs reconnus de sa ville et se décide à passer en 1950 le concours pour recevoir une bourse d’étude de la prestigieuse Curtis Institute of Music de Philadelphie, afin de réaliser son rêve de devenir une concertiste reconnue mais n’est pas reçue ! Cet échec laissera une cicatrice béante et une grande frustration tout au long de sa carrière. Pourtant, elle recevra un diplôme honoraire de cette institution deux jours avant sa mort !
Afin d’aider ses parents financièrement elle est engagée en 1954 dans un bar d’Atlantic City, le Midtown Bar & Grill pour y jouer du piano. Le patron l’oblige également à chanter et à interpréter un répertoire de reprises jazz, blues et pop. Ayant peur que sa famille découvre qu’elle joue “la musique du diable“, elle décide de prendre un nom d’artiste et devient Nina Simone. “Niña“ étant le surnom que lui donnait un ex petit ami et “Simone“ en hommage à Simone Signoret dont elle appréciait les films.
Au fil du temps, Nina Simone commence à se faire remarquer et Lee Kraft, directeur artistique du label Bethlem Records, lui propose d’enregistrer un premier album. Bien que la musique populaire ne l’intéresse pas et qu’elle ait toujours l’ambition de devenir une musicienne classique, Nina accepte la proposition et signe un contrat pour 3000 dollars !
En décembre 1957, elle rentre dans les studios Beltone et obtient du producteur Syd Nathan (Patron de King Records ayant également entre temps racheté la moitié de Bethlem) la possibilité d’enregistrer les morceaux de son choix correspondant aux standards qu’elle joue notamment en club. Les deux musiciens qui l’accompagnent ne sont pas des novices puisqu’il s’agit du contrebassiste Jimmy Bond, un ancien musicien de Chet Baker, et du batteur Albert Heath qui a joué avec John Coltrane. Une séance d’enregistrement marathon de quatorze heures permet d’enregistrer quatorze titres dont onze seront sélectionnés pour le pressage final de l’album.
Composé en grande majorité de reprises, celui-ci alterne le swing de morceaux comme « Mood Indigo » ou « Love Me or Leave Me » (auquel elle rajoute un arrangement inspiré de Bach) à des balades à la sensibilité exacerbée comme « Don’t Smoke In My Bed », un morceau de William Robinson rendu célèbre 10 ans plus tôt par Peggy Lee, « I Loves You Porgy » d’après l’opéra de Gershwin mais également « Good Bait » et « Plain Gold Ring » façon tragédienne. Elle improvise également deux morceaux instrumentaux dont « Central Park Blues » avec une facilité déconcertante et en une seule prise !
Alors qu’elle doit sortir des studios, Syd Nathan lui demande d’enregistrer un dernier morceau, reprise issue de Whoope!, une comédie musicale sortie dans les années 20 écrite par Walter Donaldson : « My Baby Just Cares For Me », déjà interprété par Nat King Cole ou Dean Martin dans le passé. Le morceau n’est pas au goût de Nina, mais voulant rentrer chez elle, elle s’exécute.
Il faut attendre début 1959 pour que l’album sorte enfin dans les bacs. Paru d’abord sous le nom de Jazz As Played In An Exclusive Side Street Club puis sous celui de Little Girl Blue, celui-ci sort sans promotion et a du mal à se vendre !
Mais grâce à Sid Mark, DJ de la radio What de Philadelphie, le titre « I Loves You Porgy » qu’il diffuse quotidiennement devient un véritable succès au point que le label le sort en 45t et fait décoller dans la foulée l’album à travers tout le pays. Bethlem en profita pour exploiter plusieurs 45t jusqu’au début de l’année 1962 alors même que le contrat avec Nina Simone est terminé.
Et la carrière d’une légende était lancée !
Arnaud Brailly