Description
George Clinton est considéré comme l’un des piliers du funk, un de ceux qui a ouvert la voie avec ses nombreux musiciens à une musique noire à la fois authentique, ancrée dans sa communauté mais également décomplexée. Il est d’ailleurs régulièrement cité comme faisant partie de la Sainte Trinité du genre aux côtés de James Brown et de Sly Stone. Si c’est surtout dans la deuxième moitié des années 70 que le vaisseau amiral a pris son envol avec son P-Funk (Pure Funk) qui se voulait un acte de rébellion face au disco envahissant les charts, c’est dans un esprit bien différent qu’il a commencé sa carrière.
Il n’a en effet pas été aisé de trouver la formule gagnante qui allait faire de lui la figure de proue de la musique du 20e siècle ! Originaire de Détroit, il commence à traîner dès la fin des années 50 dans les studios du coin (dont Motown) en tant que compositeur et producteur et crée son premier groupe, un quintet de doo wop nommé The Parliaments (avec un S), tout en continuant son métier de coiffeur. Passant dans les années 60 à un registre plus soul, ils enregistrent plusieurs singles notamment sur le label Revilot Records. En 1967, le titre « (I wanna) Testify » et son esprit très “Temptations” arrive malgré tout à se classer en 3ème position des charts R&B mais sans connaître d’autres succès dans les mois qui suivent. George Clinton prend le tournant des changements sociétaux et musicaux de la fin des 60’s et décide avec un de ses musiciens, Billy Bass Nelson, de se tourner vers un autre registre et d’embaucher un nouveau guitariste : Eddie Hazel. Totalement inspiré par le jeu hendrixien, il deviendra la pièce maîtresse du nouveau projet ! Avec Billy Nelson à la basse, trois autres musiciens consolident le staff : Tawl Ross en deuxième guitariste, Tiki Fulwood à la batterie et surtout le claviériste Bernie Worrell qui jouera un rôle fondamental dans la seconde moitié des 70’s. Les costumes trois pièces sont abandonnés pour des tenues iconoclastes, la drogue s’invite dans le quotidien du groupe et ils changent de nom (pour des questions de droits) : Funkadelic (contraction de funk et psychédélique) est né ! En signant sur le jeune label de Détroit Westbound Records, plusieurs 45t voient le jour dès 1969 suivis par leurs deux premiers albums l’année suivante : Funkadelic l’éponyme et Free your mind, and your ass will follow. On peut rajouter à ça l’album Osmium, enregistré avec la même équipe (ou presque) sous le nom de Parliament (sans le S), sur Invictus Records, le label de Holland–Dozier– Holland, les anciens auteurs compositeurs à succès du label Motown.
C’est dans cette frénésie créative et prolifique que le troisième album sous le nom de Funkadelic est enregistré dès la fin de 1970 dans les studios United Sound Systems de Détroit : Maggot Brain. Sorti à l’été 1971, il reflète la quintessence du concept du groupe, un mélange de soul, de rock psychédélique, de blues électrique qui lorgne du côté du Jimi Hendrix Experience donc, de Sly & The Family Stone, mais également de MC5 tout en abordant les thèmes régulièrement représentés dans la contre-culture à tendance hippie de l’époque : l’amour universel, la paix, la liberté et la guerre.
L’album commence avec l’introduction homérique de plus de dix minutes qui donne son nom au LP : « Maggot Brain ». La guitare de Hazel y est à la fois mélodique et lunaire et donne l’impression qu’il la fait pleurer à coups de distorsions hautement maîtrisées. De ce titre mythique, il en gardera d’ailleurs le surnom comme une signature indélébile. Le contraste est d’autant plus saisissant que c’est le morceau folk-soul « Can you get to that » qui enchaîne les festivités. Avec son refrain entêtant et son histoire d’amour contrarié, c’est véritablement le single de l’album, encore utilisé aujourd’hui dans des publicités ou dans des séries (récemment dans le dernier épisode de la série Hi-Fidelity avec Zoé Kravitz). Mais que l’on ne se méprenne pas car les choses sérieuses reprennent du service tout de suite derrière avec « Hit it and quit it » et le riff de guitare du prince Eddie qui accompagne les chants incantatoires, rehaussés par le solo d’orgue millimétré de Bernie Worrel. « You and your folks, me and my folks » enfonce le clou, avec son rythme lourd et des effets d’échos sur la batterie. Quant au tonitruant « Super Stupid », nul doute qu’il a été une forte inspiration pour Lenny Kravitz (tiens, tiens !) tant le mimétisme est surprenant avec ses productions qui arriveront près de 20 ans plus tard ! Enfin, le plus anecdotique « Back in our minds » laisse place au morceau final « Wars of Amageddon », sorte de jam gargantuesque de presque dix minutes sur laquelle sont ajoutés des extraits en tout genre (on parlerait aujourd’hui de samples) : cris, bruits d’animaux, paroles de discours ou de films, dans un ensemble joyeusement bordélique.
Album le plus emblématique de cette période, avec sa superbe pochette réalisée par Paula Bissaca, il n’en reste pas moins que l’appétit sans borne de Clinton et son omniprésence l’amèneront à prendre part à d’autres projets parallèles (deux albums enregistrés avec l’anglaise Ruth Copeland à la même époque) et à intégrer de nouveaux musiciens (dont le jeune guitariste Gary Shider, un incontournable de la période P-Funk) , quitte à créer des tensions fortes avec ses colistiers de la première heure. Tawl Ross, Eddie Hazel, Billy Nelson et Tiki Fulwood quitteront d’ailleurs le groupe après Maggot Brain, avant de revenir ici ou là sur certains albums de Parliament / Funkadelic.
Ses formations à géométrie variable n’ont pas empêché George Clinton de mener une carrière riche de plus de soixante ans et d’être adulé encore aujourd’hui aux quatre coins du monde à l’aube de ses quatre-vingt printemps !
“ We want the funk ! Give up the funk ! ”
Arnaud Brailly