Description
Il était une fois un petit garçon du Missouri, un peu teigneux, un peu nerveux, et surtout cabossé par une enfance déjà violente. Marshall Bruce Mathers, aka Eminem, nait en 1972 d’une mère-fille et d’un père qui les abandonnera quelques années plus tard… De ce petit gars à l’énergie dévastatrice, on retiendra que le pitch de départ c’était tout sauf un conte de fée : un petit white trash, un “wigga“ (abréviation de white et nigga, pour désigner les blancs qui s’appropriaient les codes hip-hop) qui avait décidé de faire du rap au beau milieu des 90’s.
Plus de 20 déménagements en 15 ans, avec une mère célibataire qui sombrait doucement mais surement vers la folie.
Un souffre-douleur pour ses camarades d’école. Qui aurait cru que quelques années plus tard, ce petit être malingre
et bringuebalé par la vie allait devenir un des plus grands rappeurs de l’histoire ? Marshall Mathers, M&M, aka Eminem (tout simplement la phonétique de ses initiales), a dû abattre des murs et escalader des montagnes pour se faire un nom dans le rap US, un milieu qui ne fait pas de cadeaux dans ces nineties rageuses. Il aura fallu le travail, l’abnégation, le talent, et surtout la rencontre.
Qu’aurait été Eminem sans Dre, et réciproquement ? Quand Eminem rencontre Dr. Dre, à la fin des années 90’s, il vit à Detroit avec sa compagne Kim et leur petite fille, et s’est déjà fait un peu connaître de façon assez confidentielle dans le milieu du rap avec un 1er album : Infinite. Dre vient alors de fonder son label Aftermath, a subi quelques revers et recherche un artiste qui pourrait le faire sortir du marasme. Il invite le jeune rappeur dans son studio à Los Angeles, et lui fait tourner l’instru de ce qui deviendra par la suite le mythique morceau « The Slim Shady », sur laquelle le jeune Marshall se met instinctivement à marmonner « Hi, my name is… ». Dre est impressionné, malgré les réticences de tout son entourage à produire un rappeur blanc : « mais moi mes tripes me disaient qu’il était l’artiste avec qui je devais bosser. Pour moi il était le chaînon manquant. Il avait la dalle, j’avais la dalle, nous sommes rentrés en combustion spontanée. Tout s’est enchaîné ensuite sans que l’on ait à poser des mots sur tout… »
Tout s’enchaîne, donc, premier succès retentissant avec The Slim Shady, du nom donné au personnage fantasque crée par l’artiste qui explose au grand jour, et devient une star incontournable du rap US. Dr. Dre peut enfin dormir tranquille avec son label Aftermath, on connait l’histoire…
Mais (dans les contes de fées subversifs il y a toujours un « mais »), l’album reste un peu fantaisiste, parfois humoristique, bref, ne révèle qu’une facette de l’artiste, incomplète. Alors en bon docteur, Dre le guide, le manage : Eminem doit raconter son histoire, ou plutôt ses histoires, et c’est véritablement dans The Marshall Mathers LP qu’il criera sa vérité, parfois crue et violente au public. 3ème opus d’Eminem et seconde collaboration avec Dr. Dre, l’album prend le nom véritable de l’artiste, comme pour insister sur le fait que non, Eminem n’est pas là pour déconner, mais juste pour raconter ce qu’il a vécu, ce qu’il a subi, ce qu’il ne supporte plus, avec toute la rancœur et la colère qu’il a, terrée en lui. On a dit qu’avec cet album Eminem et Dre ont littéralement déterré la hache de guerre dans un rap US un peu trop bling bling depuis la mort de 2Pac.
The Marshall Mathers LP est ouvertement homophobe et sexiste – chose certes regrettable mais quasi inhérente au rap du début des années 2000 (et surement encore toujours beaucoup trop aujourd’hui) mais regroupe 18 titres d’anthologie qui abordent toutes les thématiques et les tourments de l’artiste : son addiction aux drogues, les stars et l’industrie musicale, les médias qu’il exècre mais dont il se sert un peu aussi, sa mère dans « Marshall Mathers », son amour contrarié avec « Kim » (la mère de sa fille), un titre si sulfureux que la concernée portera plainte contre lui puisqu’il y fantasme son assassinat…
Malgré la controverse, The Marshall Mathers LP est LE chef-d’œuvre d’Eminem, son album le plus vendu (41 millions d’exemplaires écoulés à travers le monde à ce jour), sa pierre angulaire… Dans le rap US également il y aura un avant et un après Marshall Mathers. Dre et Eminem ont pris les commandes, il faudra au moins l’arrivée d’un Jay-Z quelques années plus tard pour casser le règne. D’ailleurs, encore un peu plus tard, un certain Kendrick Lamar, futur roi du rap US, affirmera que cet album a changé sa vie. La reconnaissance des grands. The Marshall Mathers LP restera à tout jamais la pierre à la fois brute et précieuse de l’aigle à deux têtes Dr. Dre/Eminem. L’album a tout juste 20 ans. Il reste intemporel et incontournable.
Marie-Laure Sitbon