Description
1995. La scène hip-hop américaine est dominée depuis quelques années par une nouvelle religion, le G-Funk (pour Gangsta Funk) dont les prophètes se nomment Dr Dre, 2Pac, Snoop Dogg, Warren G, Ice Cube… Samplant à tour de bras le P-Funk de George Clinton, ils vantent les filles faciles, les guerres de gangs, l’alcool et la drogue.
Malgré l’hégémonie de ce mouvement, la West Coast voit pourtant émerger une scène plus underground dont quelques noms sortent du lot : Soul Of Mischief, Del The Funky Homosapien, Blackalicious… et The Pharcyde !
En effet, ce dernier groupe se crée à la fin des années 80 grâce à la rencontre de ses 4 membres, Slimkid3, Bootie Brown, Imani et Fatlip. Danseurs de hip-hop, ils se découvrent vite une passion en tant que MC’s et, à force de scènes ouvertes, se font rapidement remarquer ! Ils se lancent alors dans l’écriture, rencontrent leur futur associé et producteur J-Swift et après avoir sorti une première démo en 1991, ils signent la même année un contrat chez Delicious Vinyl grâce à leur manager Paul Stewart qui a déjà travaillé avec Cypress Hill, De La Soul et House Of Pain. Cette signature leur permet dès l’année 1992 de participer à l’album Heavy Rhyme Experience vol.1 des ténors de l’acid jazz anglais, Brand New Heavies. Il se font remarquer avec le titre « Soul Flower » qui clôture l’album et volent presque la vedette aux autres featurings prestigieux de l’album comme Gang Starr, Kool G Rap ou Main Source !
A la fin de l’année 1992, le quatuor sort enfin une premier album, Bizarre Ride II The Pharcyde, produit par J-Swift qui fait des merveilles en proposant des beats funky et sautillants. L’album trouve rapidement son public avec des hits undergrounds comme « Ya mama », « Passing me by », « Oh Shit » ou « Otha Fish ». Au delà des ventes (certifié disque d’or en 1996 tout de même), l’album est encensé par la critique qui voit en The Pharcyde des futurs grands du hip-hop.
L’attente est longue entre ce premier opus et le suivant, Labcabincalifornia, qui sortira en 1995. Et c’est pendant cette période que des conflits apparaissent puisque la dépendance au crack de J-Swift ainsi que ses divergences artistiques avec les membres du groupe mettent à mal (dans un premier temps) toute ambition d’un deuxième LP. Malgré tout, les quatre MC’s ne se tournent pas les pouces et alternent tournées live incessantes et apparitions dans des compilations. Ils décident finalement de se lancer eux-mêmes dans la production de leur second album et s’entourent en complément d’un jeune premier sur le point de devenir un futur « grand » : Jay Dee aka J Dilla. Celui qui a fait ses armes aux côtés du collectif The Ummah (A Tribe Called Quest & co), transmet ici son savoir-faire sur la première œuvre majeure de sa carrière ! Enfin, le talentueux Diamond D (du groupe D.I.T.C) vient également prêter main forte sur un titre « Groupie Therapy » ainsi que M-Walk sur « Moment in time ». D’emblée donc, Labcabincalifornia propose des ambiances différentes de leur premier essai, à tel point d’ailleurs que l’album divise ceux qui voient en lui l’album de la maturité et placent le groupe au sommet de sa créativité artistique, et les déçus de l’esprit plus euphorique et juvénile du premier disque.
Porté par le single « Runnin », diffusé à l’époque sur de nombreuses radios y compris en France, Jay Dee fait des merveilles avec ce titre qui utilise un sample de la guitare de Luiz Bonfa sur le morceau de Stan Getz « Saudade vem correndo ». L’ensemble donne un morceau hip-hop aux ambiances mélancoliques et bossa nova qui se classera à la 35ème position des charts R&B américains.
L’autre coup de force est le titre « Drop » dont la boucle utilisée à l’envers sample « The New Style » des Beastie Boys. Le clip réalisé par Spike Jonze filme les protagonistes marchant en arrière dans les rues de Los Angeles et est présenté comme une prouesse technique à l’époque par la synchronisation créée entre la bande sonore et les images montées elles aussi à l’envers. Les bougres se paient même le culot de proposer à deux des Beastie en personnes, Ad Rock et Mike D, de faire une brève apparition dans la vidéo.
« Something that means something », également sorti en maxi, impose d’emblée son rythme funky et son refrain entêtant. Au delà de ces locomotives, le sentiment général de cet album donne une impression de maturité avec des downtempo souvent atmosphériques et plus feutrés que les précédentes expériences du groupe. Les samples de jazz sont très présents, comme sur « Bullshit » (Gary Burton Quartet), « She said » (Cannonball Adderley) ou « Hey You » (Yusef Lateef) qui montre définitivement que le groupe penche plus du côté des productions des Native Tongue que de NWA ! Et si le combo sait encore faire preuve d’autodérision et d’activités récréatives (« Splattitorium » qui fait la promotion des ’’cigarettes qui font rire !’’) c’est pour mieux aborder des sujets plus introspectifs comme dans « Groupie Therapy ».
Bizarre ride II The Pharcyde était spontané, jouissif par son hédonisme et significatif de son époque. Labcabincalifornia est quant à lui plus mature, réfléchi et finalement, avec le recul, surement plus intemporel.
Malgré cette évidente réussite, les ventes ne seront pas si fructueuses et des tensions au sein de The Pharcyde amèneront Fatlip et Slim Kid à quitter le groupe. Bootie Brown et Imani sortiront en 2000 Plain Rap et Humboldt Beginnings en 2004 dans une relative indifférence, la magie n’étant plus au rendez-vous.
Quoi qu’il en soit, Labcabincalifornia reste une œuvre majeure du hip-hop des 90’s, à placer dans sa discothèque entre le premier album éponyme de Jurassic 5 et The Platform de Dilated People !
Discographie
1992 : Bizarre Ride II The Pharcyde
1995 : Labcabincalifornia
2000 : Plain Rap
2004 : Humboldt Beginnings
L’anecdote :
En Europe à l’époque, le disque est édité par Go! Beat qui ajoute deux titres bonus par rapport au pressage américain : « Emerald Butterfly » produit par L.A Jay et « Just don’t matter » produit par Slimkid3. Ces deux titres seront pressés sur un maxi vinyle offert avec le double LP d’origine. Il faut dire que le groupe voulait développer sa visibilité sur le Vieux Continent après l’excellent accueil de « Runnin ». Une copie de ce pressage en très bon état vaut aujourd’hui autour de 100€ !
Arnaud Brailly