Description
Le Wu-Tang Clan est sans aucun doute l’un des collectifs les plus mythiques que l’histoire du hip-hop ait connu.
Quand les dix MC’s issus des quartiers sud de New York débarquent en 1993 avec leur premier opus Enter The Wu-Tang (36 Chambers), un fort vent d’Est vient à nouveau souffler sur des terres rap, alors dominées depuis quelques temps par le son de la scène californienne.
Si l’histoire du Wu-Tang a pu voir le jour, c’est très certainement grâce à la passion, le talent artistique et la ténacité de son leader : Robert Diggs aka Prince Rakeem à l’époque, futur RZA. Il forme à la fin des années 80 un groupe du nom de Force of The Imperial Master avec deux de ses cousins,Russell Jones aka Ol’Dirty Bastard et Gary Price aka The Genius (GZA). Naviguant entre Brooklyn et Staten Island, les trois compères passent leur temps entre trafic de de drogues sporadiques, production de nouveaux sons et de rimes, jeux d’échecs et visionnage de films asiatiques dont ils sont fans.
En 1991, The Genius saisit une opportunité artistique en signant son premier album Words From The Genius, produit par Easy Mo Be, sur un des labels les plus prestigieux du hip-hop à l’époque : Cold Chillin’. Robert quant à lui est repéré par la célèbre maison d’édition Tommy Boy qui lui fait signer un premier EP : Ooh I Love You Rakeem. Ces deux tentatives se soldent par des échecs cuisants qui incitent nos protagonistes à reprendre leur liberté et à se concentrer sur un nouveau projet collectif. Et le projet est grand : réunir leurs potes de galères et les MC’s de leurs quartiers respectifs, capables d’être authentiques et reconnaissables individuellement et encore plus redoutables collectivement. Largement inspirés par les films de kung-fu et notamment par Shaolin And The Wu-Tang du réalisateur hongkongais Gordon Liu, le nom du groupe est tout trouvé !
Sept nouveaux MC’s aux flows acérés intègrent l’armée des ombres : Method Man et sa voix caverneuse, Ghostface Killah et Raekwon souvent associés sur des projets en duo par la suite, Inspectah Deck, U-God et le plus discret Masta Killa et enfin Cappadonna qui intégrera le groupe juste après son séjour en prison. Réalisant plusieurs productions boudées par les labels, le clan décide de sortir son premier maxi de manière indépendante Protect Ya Neck. Porté par leurs concerts explosifs, celui-ci s’arrache comme des petits pains et attire l’attention de Steve Rifkind, le PDG du jeune label Loud Records qui décide de les signer pour leur premier album.
En novembre 1993, Enter The Wu-Tang (36 Chambers) sort dans les bacs et emporte tout sur son passage. RZA y présente une production brute, ciselée à coups de samples tantôt angoissants ou tristes, tantôt dissonants ou minimalistes. Il ne cherche pas à caresser l’auditeur dans le sens du poil. Bien au contraire, il veut créer chez lui des émotions contradictoires où les breakbeats efficaces côtoient les ambiances crasseuses de la rue. S’y on ajoute à ça les flows acérés de ses neufs colistiers et les textes à la fois métaphoriques et réalistes de leur quotidien, on comprend le phénomène que va devenir rapidement cet album. Particulièrement friand de soul et notamment celle qui vient du sud, des labels Stax et Hi Records, RZA y puise un incroyable vivier d’inspiration. Pour ne citer que quelques réussites incontournables, on pourrait vous parler de « C.R.E.A.M » et sa boucle entêtante de piano samplée sur celle de « As Long As I’ve Got You » de The Charmels, « Can’t Be All Simple » qui utilise la voix de Gladys Knight, « Tearz » qui associe la voix de Wendy Rene et l’orgue de « After Laughter » ou encore le très groovy « Shame On A Nigga » porté par les cuivres de « Different Strokes » de Sly Johnson et par la voix de l’incontournable Ol’Dirty Bastard.
Sans réel budget publicitaire mais grâce à un bouche à oreille efficace, l’album se vendra quand même à un million d’exemplaires rien qu’aux Etats-Unis. Au delà de l’aspect commercial, cet album permettra à toute une nouvelle scène new-yorkaise d’émerger (Notorious B.I.G, Nas, Jay Z, Mobb Deep…) et de redevenir à nouveau la capitale du hip-hop. Il permettra également de lancer rapidement les carrières solo ou les sides projects d’une grande partie des membres : dès 1994, RZA sort le premier album de Gravedigazz avec Prince Paul, Fruiktman et Poetic, et Method Man signe chez Def Jam le très réussi Tical, avant que Ol’Dirty Bastard et Raekwon rentrent également dans la partie l’année suivante. Et l’histoire ne faisait que commencer… !
Arnaud Brailly
L’ANECDOTE
Pour raconter l’histoire de ses débuts, RZA a décidé de créer une série en trois saisons intitulée : Wu-Tang : an american saga, réalisée entre autres par Craig Zisk et Mario Van Peebles. La première saison est diffusée en septembre 2019 sur la plateforme Hulu, Outre-Atlantique, (Disney Plus en France) avec dans le rôle du leader le jeune Ashton Sanders. L’histoire croisée des nombreux protagonistes rend celle-ci très dense, mais elle permet de mieux comprendre la genèse de ce collectif légendaire. La troisième et ultime saison, qui vient de sortir, conclut en cinq épisodes ce que l’on peut qualifier en effet de véritable saga ! Inutile de vous dire que celle-ci reste indispensable à qui veut comprendre l’extraordinaire aventure de ce groupe qui a changé la face du hip-hop.