NICK DRAKE – Pink Moon

Alors autant ne pas se le cacher, on va avoir beaucoup de mal à se marrer ici. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’un album de folk magnifique, en premier lieu. Et même si c’est bien là l’essentiel, vous allez vite vous rendre compte que ça s’écoute plus dans un recueillement béat qu’en tapant la discute à coup de blagounettes et de tapes dans le dos.

En second lieu, Nick Drake, si vous le découvrez avec ce disque, a un de ces parcours de poètes maudits dont aime se nourrir mère musique, cette ogresse qui sait mieux que personne que drame et beauté s’accoquinent malheureusement facilement. Nick signe un contrat avec Island Records tout jeune (il a vingt ans), et enregistre trois albums – dont vous tenez la pochette du dernier en main – entre 1969 et 1972. Las, ce sont tous des échecs commerciaux. Dans ce cas-là, le chef de produit conseille en général une tournée, pour aller à la rencontre de son public et des medias locaux. Sauf que Nick n’aime pas les concerts, et encore moins les interviews. C’est qu’il n’est pas très bien dans sa peau : dépressif et insomniaque, il abandonne tout et retourne chez papa maman dans la campagne anglaise (le Warwickshire, en p’ein mi’yeux) après Pink Moon… tout n’est pas rose, contrairement à la lune… pink, rose, you see ? (oh ça va hein, j’essaie de détendre un peu l’atmosphère). Le 25 novembre 1974, il meurt d’une OD à l’antidépresseur. Il a 26 ans.

Ce qui, comme souvent dans ces cas là, est hallucinant, c’est la maturité et la sensation d’apaisement que délivre sa voix, ainsi que la richesse et la beauté de ses compositions, ramassées, comme l’album, très court. L’influence de son écriture s’imposera post mortem. En commençant dans les 80s à la suite de l’intégrale Fruit Tree parue en 79, et qui rallie à sa cause de nombreux musiciens. Je connais par exemple personnellement un fantastique guitariste de jazz, Misha Fitgzerald Michel, qui reprend les compos de Nick Drake en solo sur une douze cordes (vous trouverez ça en disque chez No Format!), et je peux vous assurer que ça met les poils, comme on dit aux bars pros des festivals de rock. En fait-ce un musicien pour musiciens, comme on dit dans les rédacs des magazines spécialisés ? Ben non, c’est juste que c’était trop beau pour ce que l’industrie du disque savait véhiculer, ou que ce n’était pas la bonne personne, au bon moment… on ne saura jamais.

Par contre, l’album tient la longueur : plus le temps passe, plus il gagne en notoriété. L’original cote d’ailleurs plus de 400€ sur discogs. Heureusement pour vous, le Vinyle Club casse les prix ! Si cet accroissement constant de sa fan base n’est que justice pour lui et son œuvre, elle n’est que joie pour ses auditeurs, qui se convertissent souvent en néo-zélotes discrets, ravis de partager leur bonheur avec d’autres initiés. Parce que oui, au final, de ce destin tragique transpire paradoxalement une beauté quasi mystique, tellement elle est concentrée et pure. Pour les crédits, ça va très vite : Nick fait tout tout seul, guitare, piano, voix, compos. Surdoué, il jouait aussi de la clarinette et du saxophone. Allez, portnawak : Nick Drake, c’est Jeff Buckley en mieux. Et comme c’est Jeff Buckley avant l’heure, autant le rapprocher du paternel Tim Buckley, avec qui il partage à un an près les années de naissance et de mort par OD. Tristes histoires, beaux legs.

Pink Moon est donc littéralement un disque beau à crever. Bon OK, c’est mal de se moquer de la mort. Mais comme se le demandait si justement Desproges quand il cherchait à savoir si on peut rire de tout : « au reste, est-ce qu’elle se gêne, elle, la mort, pour se rire de nous ? Est-ce qu’elle ne pratique pas l’humour noir, elle, la mort ? » Je persiste donc, ce disque est beau à crever. Et au plus long ce sera au sens figuré, au plus on aura la chance d’en jouir.