Description
Le combat est âpre entre les fans de A Tribe Called Quest qui s’écharpent pour savoir si le meilleur album est The Low End Theory, le second opus du groupe ou plutôt Midnight Marauders, son successeur ! A y regarder de plus près, l’un ne va pas sans l’autre… et d’ailleurs, les deux albums constituent une trilogie démarrée en 1990 People’s Instinctive Travels and the Path Of Rhythm.
En effet, si ATCQ a toujours été un groupe à part dans l’univers hip-hop, beaucoup considèrent (moi le premier) que l’on touche ici à la quintessence, voire au Saint Graal de ce que le rap a produit de mieux dans son âge d’or !
L’histoire commence comme des milliers d’autres aventures musicales : avec une amitié qui débute dès l’enfance dans les quartiers de New-York pour les deux MC’s du groupee, Q-Tip et Phife Dawg. C’est au lycée qu’ils rencontrent Ali Shaheed Mohammed, futur DJ de la bande, et qu’ils font la connaissance de The Jungle Brothers, groupe dont le premier LP Straight Out The Jungle” sort en 88 qui propose à Q-Tip un featuring sur le titre « Black is Black ». L’année suivante, ils apparaissen( sous le nom d’A Tribe Called Quest sur le titre « Buddy » d’un autre groupe new-yorkais, De La Soul, qui a eu la bonne idée d’inviter des artistes partageant un état d’esprit commun et former le collectif Native Tongues. ATCQ signe chez Jive et sort son premier single « Description of A Fool » avec un quatrième membre temporaire : Jarobi White.
People’s Instinctive Travels and the Path Of Rhythm est le premier album qui sort en 1990. Il connaît un succès immédiat et est porté par des singles efficaces et les remixes qui vont avec : « Luck of Lucien », « Bonita Applebum », ou encore « Can I kick it » (qui sample le « Walk of Wild Side » de Lou Reed, ce qui leur vaudra un procès et la perte de leurs droits d’auteurs au profit de l’artiste originel) envahissent les ondes américaines. Battant le fer tant qu’il est encore chaud, le quator redevenu trio sort l’année suivante l’incisif et percutant The Low End Theory en samplant de façon plus marquée des artistes de jazz. Ils invitent d’ailleurs Ron Carter, contrebassiste légendaire sur le bien nommé « Jazz (we’ve got) ». En plus d’élever le groupe à un niveau supérieur, ce second album augmente la fanbase d’ATCQ !
Bien que la pression pour proposer une suite soit assez forte, le trio décide de prendre son temps. Afin de retrouver la fraîcheur adolescente, ils s’installent dans la cave de la grand-mère de Phife et partagent leur temps entre création, jeux-vidéos et matchs de la NBA ! Si Q-Tip et Ali produisent la plupart des morceaux, ils s’associent également à Skeff Anselm et Large Professor pour compléter l’ensemble et invitent quelques amis en featuring : Trugoy The Dove (De La Soul), Busta Rhymes (déjà présent avec les Leaders of The New School sur The Low End Theory ) ou encore Raphaël Saadiq qui vient jouer de la basse. Et le résultat est à la hauteur des attentes, tant sur la musique que dans le message véhiculé. La tribu parvient notamment à varier les thématiques afro- centristes et engagées tout en abordant certains sujets de façon humoristique ou décalée. Proches des valeurs de la Zulu Nation et de son adage, “Unity, love and having fun”, leur envie de transmettre et d’éduquer se ressent sur des titres tels qu’« Award Tour », un véritable pamphlet contre l’industrie musicale, « 8 millions », un avertissement au succès qui fait tourner les têtes, « Sucka Nigga » qui critique l’utilisation du mot “Nigger” y compris au sein de la communauté afro-américaine ou encore « Steve Biko » qui rend hommage à l’activiste sud-africain anti-appartheid des années 70 !
Musicalement, les rythmes sont secs et claquent comme dans tout bon disque de hip-hop boom bap qui se respecte. L’utilisation des samples qui font mouche est également la marque de fabrique du groupe, notamment ceux de jazz, omniprésents sur cet album : du « Mystic Brew » de Ronnie Foster sur « Electric Relaxation » à « Absolutions »
de Lee Morgan sur « Oh My God » en passant par le classique « Red Clay » de Jack Wilkins (l’original est de Freddie Hubbard) sur « Sucka Nigga », le trio fait preuve, une fois de plus, d’un goût évident de mélomanes avertis !
Si l’on ajoute à ça une pochette mythique qui réunit un véritable “who’s who“ du hip-hop passé et présent (avec De La Soul et Jungle Brothers bien entendu, mais aussi Grandmaster Flash, Dr Dre, Afrika Bambaataa, Beastie Boys, Chuck D, The Pharcyde… pour ne citer que quelques uns de ceux qui ornent la pochette), on comprend pourquoi leur LP fut vendu à plus de 500 000 exemplaires aux USA et est resté en première place des charts R&B pendant plusieurs semaines.
En signant avec Midnight Marauders l’album non seulement de la maturité mais surtout du sommet artistique et commercial du groupe, A Tribe Called Quest devient le fer de lance des Native Tongues. Le groupe entamera paradoxalement peu de temps après une période plus sombre qui se prolongera en 1996 avec Beats, Rhymes and Life : en dépit de la présence de J Dilla et de leur nouveau collectif “The Ummah” à la production, l’album est considéré comme le plus bâclé et le plus commercial du combo. The Love Movement viendra heureusement clore une décennie discographique somme toute brillante, tout en annonçant la fin (temporaire mais longue) du groupe. Presque vingt ans plus tard, en 2016, l’album de la réunification We Got It From Here… viendra clore la page définitive d’ATCQ, avec le décès de Phife Dawg à l’âge de 45 ans au début de cette même année !
Arnaud Brailly