Description
Cet album est avant tout une histoire d’amitié, celle de deux musiciens cariocas qui depuis 25 ans se côtoient et collaborent ensemble sur leurs projets respectifs, sans que leur duo ne se concrétise officiellement sur un album entier. Et comme ils se connaissent bien, ils ont décidé de relever le défi d’enregistrer cet album en “direct- to-disc“, exercice difficile qui nécessite de maîtriser son art et le temps !
En effet d’un côté, Seu Jorge, né Jorge Mario Da Silva, guitariste autodidacte vivant sa jeunesse dans les Favelas de Rio, fonde à la fin des années 90 le groupe Farofa Carioca qui lance sa vie de musicien professionnel. Mais c’est son projet solo, l’album Samba Esporte Fino et son tube « Carolina » dans la plus pure tradition des sambas / MPB des 70’s, qui lui permettra de se faire un nom des deux côtés de l’Atlantique (avec une édition européenne distribuée par Mr Bongo). Curieux et touche-à-tout, il poursuit sa carrière de musicien (son second album Cru sortira en 2004) mais également d’acteur, d’abord dans le film brésilien La cité de
Dieu puis dans La Vie Aquatique de Wes Anderson, où il joue au côté de Bill Murray. Le brésilien y compose d’ailleurs une partie de la bande originale du film constituée de reprises de David Bowie en portugais. Après deux décennies bien remplies donc, et malgré un relatif silence discographique (son dernier album solo “Musicas para churrasco II” date de 2015), bien occupé par sa carrière cinématographique (la série Netflix Brotherhood dont il est l’acteur principal cartonne depuis 2019), le voici donc de retour pour ce projet singulier.
De l’autre Rogê, Roger José Curry de son vrai nom, un natif d’Ipanema bien moins connu de ce côté-ci de l’Hexagone mais pourtant très prolifique aussi. Celui que l’on nomme le prince du sambalanço, ce mélange de samba et de funk, est un auteur-compositeur- interprète-musicien confirmé et a pendant longtemps été l’ambianceur musical officiel de Lapa, le quartier bohème de Rio. S’il est inspiré par Jorge Ben et Tim Maia, il a été intronisé par un autre maître du genre : Arlindo Cruz. Sa discographie est également abondante et démarre en 2000 avec le groupe Bandevera. Il va poursuivre seul ou lors de collaborations multiples (le projet 4 Cabeça en 2009), se payant même le luxe d’une signature chez Warner Music en 2014. Son dernier album solo Nômade est sorti en 2018. Sa collaboration avec Seu Jorge est régulière et a même été fondamentale sur l’album de ce dernier, Musicas para churrasoc vol.1.
Quoi de plus normal donc qu’une telle complicité artistique et musicale soit réunie sur un album finalement ? Ce n’est donc pas un hasard si le label anglo-neérlandais Night Dreamer les a invité à venir enregistrer une session direct-to-disc dans leurs studios d’Artone à Haarlem, à l’ouest de la banlieue d’Amsterdam. Ce jeune label né en 2019 (qui tire son nom du premier album du mythique saxophoniste Wayne Shorter enregistré chez Blue Note en 1964) a donc décidé de réhabiliter cette vieille technique d’enregistrement direct sur acétate en équipant notamment son studio de matériel analogique. Leur première sortie a été le fait d’arme de Seun Kuti & Egypt 80, excusez du peu, et parmi les autres trophées récents le LP d’une autre légende du jazz, Gary Bartz, en compagnie des jeunes londoniens de chez Brownswood, Maisha, montre également le sérieux du concept.
Les deux hommes s’en donnent donc à cœur joie dans cette session acoustique à double guitare et double voix, celle ample et grave de Seu se marie à merveille avec celle plus légère et dansante de Rogê, sur des morceaux composés pour l’occasion en un mois. Ils sont également accompagnés par deux percussionnistes chevronnés : Prethino Da Serrinha et Peu Meurray qui apportent un relief rythmique à l’ensemble. En sept titres et un peu plus de 30 minutes d’enregistrement, le duo nous propose une photographie intemporelle, un moment d’éternité comme seule l’union de la musique et des êtres humains connectés sait en proposer.
Qu’il s’agisse de l’hommage à leur pays d’origine, « Meu Brasil » (« Mon brésil », un pied nez au régime de Bolsonaro !), de l’entêtant et communicatif « Sarava » ou encore d’« Onda Carioca » et ses passages en français, on retrouve bien entendu des histoires d’amitié. Le bien nommé « Pra Você Amigo » (Pour toi mon ami), résume à lui seul la teneur de cet album. Quant au morceau qui vient conclure l’ensemble,
« Caminaho » il a été composé il y a presque 25 ans par les deux hommes (mais enregistré pour la première fois par Rogê en 2014 sur son album Bailé do brenguelé).
Vous l’aurez compris, on se délecte de cet album épuré, vrai et sans fioriture, tant pour sa prouesse technique et
sa musicalité que pour l’histoire qu’il raconte. Dans la lignée de Milton Nascimento, Gilberto Gil ou encore Jorge Ben, Seu Jorge et Rogê nous transmettent une part de ce Brésil éternel qui en ces temps troublés a quelque chose d’apaisant et de rassurant. Viva a musica brasileira !
Arnaud Brailly